Mythologies du corset, épisode 1

À force de relire toujours les mêmes clichés sur les corsets sur internet et dans des livres, parfois propagés par des gens relativement sérieux, je me suis dit qu'un petit "corset mythbuster" ne serait pas du luxe, au fond.

_ "les corsets servent à rendre la taille fine"

C'est évidemment la première des légendes sur le corset, et même avec la meilleure volonté du monde, jamais on n'arrivera à la détruire. Pourtant, essentiellement, c'est une connerie. Le but du corset n'est pas d'obtenir une taille fine, et si c'est ce après quoi vous courez , vous risquez d'être pas mal déçues. Par contre la réduction de la taille peut être (mais pas toujours) une conséquence du port du corset. Je m'explique.

D'abord, parlons un peu d'évidences : un corset sert d'abord à offrir un soutien et un maintien. Oui, c'est un sous-vêtement en premier lieu, pas un instrument de beauté ou de torture. Mais à la différence de notre vision moderne du maintien, on considérait, jusqu'à une époque encore assez récente (pensez aux gaines de vos grands-mères), que la poitrine n'est pas la seule chose qui devait être maintenue. L'ensemble des chairs du buste doit être maîtrisé (Apparté : De manière assez intéressante aujourd'hui, cette notion de maintien existe encore assez partiellement avec les culottes ventre plat. Vous remarquerez cependant qu'avant le buste était considéré comme un tout, on gérait poitrine-ventre-hanches ensemble. Maintenant on a établi une séparation de traitement entre ce qui est noble - la poitrine - que l'on maîtrise avec des soutiens-gorge qui peuvent être à la fois efficaces et beauxzéaffriolants, et ce qui est indigne, problématique, le ventre "pas plat", que l'on maîtrise par des sous-vêtements efficaces mais laids. Si l'on choisit le beau et sexy pour le bas, on refuse le maintien. Les deux sont incompatibles.).

De cette notion découle le but esthétique du corset : non pas maîtriser la taille, mais créer une forme, mettre le corps en forme pour correspondre aux canons de beauté d'une époque, ainsi que d'une certaine façon, aux canons sociaux et moraux. Par exemple, on voit apparaître une forme de corset qui accentue les hanches vers 1850, à une époque de renouveau conservateur qui redessine l'image d'une femme "ange du foyer et de la maternité", d'où la réapparition des hanches, symbole de fertilité vieux comme le monde...

Là vous me direz que la volonté d'une taille fine peut correspondre aux canons de beauté, et que finalement, les corsets sont bien là pour rendre la taille fine... Je suis navrée de devoir casser votre rêve, fan du tight-lacing, mais heu, non, un corset ne rend pas plus mince, comme ça par l'invocation des baleines et des lacets, ce n'est pas un instrument magique. Un corset, lorsqu'il est lacé normalement, va déplacer les chairs et les redistribuer vers le haut ou le bas. L'effet taille fine est surtout visuel, accentué par l'augmentation significative de la poitrine et des hanches. Dans les faits, la circonférence de la taille est réduite en moyenne de 2 à 5 cm. Ce n'est vraiment pas énorme. Il y a toujours des exceptions, mais ne mettez pas vos espoirs trop hauts.

Mais il y a des corsets super étroits dans tous les musées, m'dame ! Oui, il y en a. Sauf que... Sauf qu'ils sont toujours montrés sur des mannequins, jamais sur des personnes : la chair est molle, le mannequin non. Aucun corset sur mannequin ne ressemblera jamais à ce qu'il donnait porté par un vrai corps humain. Par ailleurs, les musées accentuent volontairement l'effet taille fine des corsets. Bah oui, c'est ce que le public vient voir ! Vous avez déjà vu des corsets de femmes fortes en musée ? Je vous rassure, elles existaient autrefois, et il existe toujours des corsets de de femmes obèses ou  enceintes. Mais ils ne sont jamais ou très rarement montrés, et s'il le sont, ils sont présentés selon un angle qui cache leur largeur (coucou, le musée des Arts Déco). Les musées, honte à eux, ont pour beaucoup oublié leur mission d'éducation. Ils font dans le bling bling et le hype (comme le musée des Arts Décoratif qui a osé présenter des corsets de fer comme de vrais corsets de tous les jours au XVIè siècle, alors qu'on sait pertinemment que la moitié des corsets de fer existants aujourd'hui sont des invention du XIXe siècle, et qu'on pense que ceux du XVIe pouvaient avoir un usage orthopédique.)

Dernier détail, mais c'est le plus important : les corsets sont toujours présentés lacés-fermés dans le dos. Or, on ne lace JAMAIS un corset fermé : un corset est toujours au minimum entrouvert de 5 cm dans le dos (on doit voir la chemise sous le laçage), le plus souvent de 5 à 10 cm. Cette ouverture a un but pratique. Les femmes ont un corps fluctuant, que ce soit au niveau de la poitrine (c'est là où les femmes prennent du poids en premier), pendant les règles, ou lors des grossesses. Un corset doit s'adapter à la morphologie du corps, et pas le contraire.

Et le tight-lacing, alors ? En fait, le principe du tight-lacing, s'appuie sur les effets pervers du corset. Si le but n'est pas d'amincir, il n'en reste pas moins que le corset fait subir des contraintes au corps, et que le corps y répond en se déformant (en particulier la cage thoracique). Les femmes, autrefois, commençaient à porter le corset à l'âge de 3 ans et ne le quittaient qu'arrivées à un âge vénérable où l'on peut se permettre de ne plus être "en forme". Au final, le corps s'amincissait réellement sur le long terme, mais encore une fois, c'était une conséquence, et non le but recherché au départ. Pourquoi mettait-on les enfants dans des corsets si tôt ? Parce que l'on était convaincu (à partir du XVIe, avant, je ne sais pas) que les os des enfants étaient trop mous, et que si on ne leur donnait pas un soutien pendant le début de la croissance, les enfants grandiraient avec le corps déformé, finiraient bossus ou pire. Jusqu'à l'âge de 5 ou 7 ans, selon les époques, garçons et filles portaient le corset (et non, ils n'étaient pas forcément baleinés, ils pouvaient être cordés, ou contenir du carton, du canvas fort ou du bougran. Les gens n'étaient pas des monstres tortionnaires autrefois). Les tight-laceurs modernes sont des malades qui déforment volontairement leurs corps sur une période de temps assez réduite, c'est hyper malsain et ça ne correspond à aucune réalité historique.

Il y a donc des corsets qui ne font pas la taille fine ? Ben tiens ! De 1795 à 1825, rien à battre d'avoir l'air fine. À d'autres époques, les corsets font volontairement  ressortir le ventre : au XVIe siècle et entre 1870 et 1889. Et on peut même aller plus loin : les structures annexes situées sous les robes -- paniers, crinolines, tournures, poufs, culs de Paris -- peuvent très souvent annuler cet effet taille fine. (Dans les films, ils trichent... pour s'adapter aux préjugés du public) Si par un effet d'optique, une crinoline contribue souvent à faire passer une taille pour plus fine qu'elle ne l'est, il arrive aussi que la morphologie de la porteuse (dos particulièrement cambré, hanches hautes, etc) annule l'effet d'optique.

_ "les femmes s'évanouissaient à cause de leurs corsets"

Le second mythe le plus répandu. Rt agaçant en plus de ça. Est-ce que des femmes se sont évanouies à cause de leur corset ? Probablement. Est-ce que le corset est la cause première et principale des évanouissements ? Probablement pas.

D'où vient l'idée que les femmes s'évanouissent à cause de leurs corsets ? De deux littératures très différentes et toutes deux relativement controversées : la littérature fictionnelle, et la littérature médicale.

Commençons par la littérature médicale. Elle a un but très clair : lutter contre le corset. Même si les arguments sont bons (le corset déformait vraiment le corps, tous les corps ne sont pas adaptés au port du corset, etc.), les médecins ne sont pas plus impartiaux que les autres, et quand ils prêchent pour leur paroisse, ils ont tendance à manipuler un peu les faits pour améliorer leur argumentation. L'évanouissement était donc pour eux seulement le symptôme des dégâts causé au corps des femmes. Oublions qu'il peut être le symptôme de beaucoup d'autres choses, telle que prédispositions aux évanouissements, maladies, le quart de millions de troubles menstruels existants, la chaleur (qui peut être accentué par la quantité de couches impressionnantes que ces femmes ont parfois sur le dos), le poids des vêtements et sous vêtements que portent ces femmes (des mètres et des mètres de tissus, des baleines en métal, etc.), la malnutrition qui dans certaines couches de la population était bien réelle,... Non, pour ces médecins, la cause unique est : le corset. No comment.

Pour asseoir leur propos, ils l'acccompagnent souvent d'images de corsets qui, clairement, sont des armes contre le corps humains tant ils sont étroits ou improbables. Et faux. Pour juger de cela, rien de tel qu'une petite confrontation entre le mythe et la réalité. A gauche, le dessin paru dans Le Corset, un traité hygiéniste de 1905 et à droite, le vrai corset, sensiblement plus large de la taille. Rajoutez à cela qu'un corset, comme dit plus haut, ne se lace pas fermé dans le dos, on se retrouve avec un corset de taille étroite, mais normale (un grand 36)...

Fig29Corset_avec_epaulettes.gif M-2009-0252-JT-d816d.jpg
Musée des Arts Décoratifs, 1770-1780

Néanmoins le postulat de départ de cette analyse médicale est d'abord l'idée que les femmes s'évanouissaient beaucoup. D'où vient cette idée ? Principalement de la littérature populaire où les femmes tombent en pâmoison toutes les 2 minutes. On retrouve beaucoup moins de ces malaises spectaculaires dans la littérature "sérieuse". La littérature populaire ne fait pas dans la dentelle, néanmoins, elle joue sur des codes sociaux réels, dont elle grossit le trait à dessein. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, la sensibilité exacerbée est à la mode pour tous, hommes et femmes, on pleure pour un rien, on meurt de langueur, l'évanouissement est un passage obligé. Difficile de discerner dans quelle mesure on s'évanouissait pour de vrai. Au XIXe, c'est un peu plus pervers. Les hommes "re-virilisés" ne pleurent plus, le sentimentalisme est l'apanache des femmes. Mieux, il est ce qui définit le sexe faible. Une femme qui s'évanouit face à une émotion trop forte est une femme comme il faut. Par opposition aux anti-femmes, celles qui ne restent pas à leur place. Il y a un message politique et social très fort derrière la représentation et la création de la sensiblerie des femmes au XIXe siècle. Les femmes qui sortent de ce schéma sont dénaturées, bonnes pour l'asile (et les femmes qui correspondent trop à ce schéma aussi, sympa...). L'évanouissement prend alors un sens très différent. Une femme qui s'évanouit à la moindre émotion peut-elle prendre des décisions, gérer son argent, participer de la vie politique ? Non, bien sûr. Les méfaits du corset semblent très secondaires, dans cette perpective-là.

Oui, mais n'empêche, il y avait quand même évanouissements dûs au corset ! Non ? Je l'ai dis : probablement. Mais parlons d'expérience personnelle, pour être plus claire sur le sujet : je fréquente assez de milieux de reconstituteurs et de costumiers pour m'être fait une opinion, et jamais, je n'ai entendu raconter que quelqu'un s'était évanoui réellement. Des fatigues, des malaises légers, oui, parfois. Mais des évanouissements spectaculaires, jamais. Malgré le running gag des sorties costumées ("si je m'évanouie, tu empêches les pompiers de déchirer ma robe, hein ?! Tu me laisses m'étouffer s'il le faut, mais tu les empêches de bousiller mon précieux !"), le cas ne s'est jamais présenté. Et pour aller plus loin, mon cas perso : j'ai un très forte prédisposition à la pâmoison (malaise vagal) et une endurance respiratoire de moineau, un petit coup de chaud, et hop, je suis par terre, un escalier de 3 marches et hop, j'ai le souffle court. Pourtant, j'ai fait des sorties en costume XVIIIe en plein mois de juin, sous un cagnard de dingue, en portant des charges lourdes, en marchant beaucoup, ... la totale, quoi. Et pas le moindre petit malaise...

Faut croire que les femmes d'aujourd'hui ne sont pas assez fragiles. Ou simplement que les mythes correspondent à des fictions culturelles beaucoup plus profondément enracinées. Comme la "fragilité" du sexe faible.

...à suivre...

Commentaires

  1. Merci pour ses précieuses explications .

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  2. Merci pour ses précieuses explications.

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  3. Merci pour ce très bon article ! Je ne sais pas si tu as lu celui-ci, sur la culture de l'évanouissement chez les femmes au 19e siècle, il apporte plein d'idées et de données intéressantes.
    J'en profite pour te féliciter et te remercier pour ton blog, qui est un bonheur à consulter et une super source d'inspiration et d'information

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  4. Je me rends compte que le lien n'est pas passé (ou c'est moi qui ai oublié de le coller...), l'article se trouve sur le site de Lucy Corsetry : http://lucycorsetry.com/2014/09/25/corsets-and-the-victorian-fainting-culture/

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