Dressing up, 18th century style (avec une longue intro)

Notre histoire commence dans une contrée lointaine, sous l'ombre de la Tour Eiffel du Fort de Bicêtre, par un mois de février un peu morose durant lequel l'héroïne de notre histoire décide de se faire un de A à Z un habit populaire XVIIIe.

Notre héroïne, faut-il le préciser, considère que coudre à la machine est un crime qui mérite de se faire couper les mains, de les cuire au court-bouillon et de les manger avec des nèfles du Japon. Notre héroïne souffre d'historicitite : c'est incurable. Pas la peine de faire des dons à l'institut Pasteur. Et en plus elle en est fière : oui, il y a des gens comme ça, qu'aiment pas le costume Playmobil. Qu'est-ce que vous voulez, ce sont des gens qui n'ont pas de passion. (spéciale cassedédi à la source d'intelligence brute qui m'a accusée de ne pas avoir de passion)

Voilà donc notre héroïne embarquée pour coudre : une chemise populaire, c'est à dire en lin non blanchi ; une jupe (pas encore déterminée comment elle sera) ; un jupon (pareil que la jupe, mais il devrait être en indienne) ; un manteau de lit ; un tablier ; des poches. Le tout non seulement cousu à la main, mais en chiadant les finitions. Je vous raconte pas : le tablier a été fini la semaine dernière, la chemise est encore en cours. Oui, depuis février.

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Le tablier en février

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Le tablier fini qui fait sa star du porno sur mon lit.

Le manteau de lit a été commencé il y a plusieurs années, puis abandonné pour cause de mauvais calcul des manches. Je l'ai repris, mais c'est une tannée de le rectifier. Et j'ai pas encore de photos à montrer.

Mmmmh au fait, c'est quoi maman, un manteau de lit ? En anglais, ça s'appelle soit une shortgown, soit une bedgown : j'ai fait un tableau Pinterest pour que l'on voir à quoi ça ressemble. C'est un habit relativement populaire, dont la particularité est d'être fait le plus souvent en une seule pièce : manches et corps sont coupés ensemble. Il existe deux patrons de base :

un "technique" tiré de l'Encyclopédie. Je ne connais pas de pièce conservée fait à partir de ce genre de patron. Sauf que en France (puisque c'est un patron français), on a pour ainsi pas de costume populaire XVIIIe conservé. Donc ça ne veut rien dire.

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Dans L'Ecyclopédie de Diderot et D'Alembert, dans l'article fait par Garsault.

un "pratique" tiré de pièces existantes. Il en existe plusieurs aux USA et en Scandinavie. Ce patron-ci est tiré d'un vêtement suédois dont on peut voir l'original ici

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Original au Musée du Comté de Gotland

Mon manteau de lit se base sur un modèle américain qui ressemble énormément au modèle ci-dessus. Vous voyez mon casse-tête pour rectifier les emmanchures ?

Bref, cette longue intro pour vous dire qu'en fait, je n'ai pas grand chose à vous montrer. Arf ! Mais de qui se moque-t-on ? Mais que fait la Police des Blogs ? (elle fait comme les tirailleurs) En fait, je préférerais vous montrer plusieurs pièces en même temps plutôt que juste vous montrer les détails du tablier. Donc on attendra soit la chemise finie (j'en verrai jamais la fin, j'en verrai jamais la fin...), soit un manteau de lit rectifié.

Du coup, je pensais plutôt vous mettre le tablier en situation, porté. Pour ça il faut d'abord m'habiller. Ça tombe bien, je suis en vacances chez mes Biomans, où sont stockés (presque) tous mes costumes. J'ai pu ressortir un petit casaquin plissé (ou casaquin à la française/pet-en-l'air : casaquin plissé est le terme d'époque) qui n'a jamais eu droit d'être photographié, si c'est pas honteux ça. (non pas qu'il n'ai jamais été porté, en plus au cours d'un reenactment. Mais une pétasse a thésaurisé toutes les photos et ne m'a jamais même permis de les VOIR. Alors en récupérer une ou deux...)

Et puis je me suis dit tant qu'à faire, je pourrais aussi bien faire une série de photos pour vous expliquer comment on s'habille au XVIIIe siècle :)

Ce qui ne s'est pas fait sans problème. C'est le problème quand on improvise un truc. D'abord, il a fallu repasser et je vous raconte à peine ce que plusieurs mois, voire années de stockage font comme plis venimeux. (Merci à BeaAnn Reid de m'avoir rappelé les vertus de l'amidonnage, que tu en sois mille fois remerciée.)

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Avant repassage : l'apocalypse n'a pas un autre visage ; repassage magik à l'amidon ; après repassage : un monde enfin ordonné :)

Ensuite, mon corset* m'a douloureusement rappelé qu'il lui manquait un lacet convenable, pas un lacet qui casse 4 fois, qu'il faut nouer de partout pour réussir à l'utiliser malgré tout (et couper une fois au ciseau  parce qu'un nœud s'est prix dans un œillet et qu'on se retrouve prisonnière du dit corset). Voilà une leçon pour les paresseuses qui ne veulent pas traverser la moitié de la ville juste pour acheter un lacet :
ha-ha

Je suis donc lacée, mais pas serrée dans mon corset. Ce qui m'arrange moyennement, sachant que mon casaquin a toujours été très trèèès juste :( La chemise est ma fameuse chemise non finie (on voit les fils qui tombent à l'ourlet pas encore fait). Le jupon et le jupe sont d'anciens costumes

Je vous prierai aussi d'ignorer ma coiffe (pas finie, c'est la seule que j'avais sous la main), mes petits petons tous nus (des bas ? des bas ? ou ça des bas ?) et mes cheveux, ma kriptonite. Lavés de ce matin, ils sont donc dotés de leur propre centre de commandement. Je ne peux en toute sincérité assumer leur actes de sédition.

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On commence donc par les bas (que je n'avais pas à disposition), les chaussures (idem), puis la chemise, le corset et enfin les paniers. Les miens sont très petits, ils ont été faits pour aller avec le casaquin. Ce sont d'émouvantes retrouvailles. Si vos paniers n'ont pas de fond, comme les miens, vous rajoutez des poches, pour ranger des objets. Vous les enfilez soit dans le paniers, soit par dessus, ça se fait aussi. L'important c'est qu'elles soient accessibles par les ouvertures latérales de vos jupes. J'ai mis ma coiffe à ce moment-là, pour cacher ma kryptonite capillaire. En fait, c'est plus simple de la mettre plus tard, pour éviter que l'enfilage des jupons ne la fasse tomber. Au fait, pourquoi les chaussures au tout début ? Parce que vous aller devoir les attacher avec une boucle : et se baisser après avoir mis son corset, c'est un peu du sport. Pas infaisable, bien sûr (rien n'est infaisable en corset), mais vous n'avez pas besoin de vous compliquer la vie non plus.

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Par dessus, vous enfilez le "jupon de dessous". J'ai trouvé l'expression, ainsi que "jupon de dessus" dans un texte d'époque. Le même texte ne mentionnait pas de jupe : il faut donc comprendre jupon de dessus = jupe. Mais le mot jupe est usité aussi. A l'époque, les jupons de dessous sont rarement blancs, voir jamais. J'attends d'en trouver un dans un texte d'archive ou dans une pièce de musée. Ils sont très souvent à rayures, ou en indiennes, surtout après la fin de l'interdiction d'importation des indiennes. Toujours d'après le même texte, la plupart des femmes portent trois jupons en tout. Mais l'association avec seulement deux jupons existe. Ça trahit votre place dans la hiérarchie sociale, plus que votre apparence extérieure. (Ça ne se voit pas, mais mon jupon est prévu pour être porté sur un faux-cul et pas sur des paniers. L'ourlet ne doit pas être très droit ^^)

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Mon jupon de dessus. C'est une toile de Jouy relativement moderne, avec lequel j'ai fait une robe à la français en 2006. Je ne réutiliserai pas le même tissu aujourd'hui. Même si on a vu apparaître entre temps une robe à la française qui prouve que ce genre de motif en losanges n'est pas une pure invention, et a été utilisé sur ce genre de robe, je pense que ce type de toile de Jouy (qui ne s'inspire d'aucun motifs authentique de l'usine de Jouy) aurait plutôt été utilisé en doublure. Vous pouvez voir sur les côté que le tissu tombe bizarrement : contrairement au jupon précédent, celui-là était prévu pour des paniers : mais plus grands !

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C'est l'étape où l'on enfile sa coiffe et son fichu/mouchoir de col. Comme je l'ai dit, enfiler la coiffe avant vous expose à la déranger, et il faudra la réarranger (pas productif). Pareil pour le fichu. Il faut les mettre avant la robe/le casaquin, car si vous portez un costume fait selon les méthodes de coupe du XVIIIe, vos bras seront entravés et le lever au dessus de la tête pour ajuster une coiffe sera beaucoup plus difficile. (Je rappelle qu'une robe XVIIIe correcte doit rejeter vos épaules en arrière.)

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Enfilage du casaquin. Il ferme uniquement avec des épingles. Je l'ai aussi attaché aux jupons sur le devant, de chaque côté de l'ouverture, pour bien fixer l'ensemble. Mon casaquin avait été fait d'après un patron tiré de celui-ci. J'avais fait quelques rares modifications, dont rallonger un peu l'arrière. Vous remarquerez que les paniers qui ont l'air de disparaître (de s'effondrer) quand je ne porte que les jupons sont mis en valeur par le casaquin : majik !

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Et pour terminer : le fameux tablier. Aussi fait à partir d'un patron tiré d'un pièce d'époque, un tablier américain conservé au Musée de Witt à Colonial Williamsburg. (le patron et la photo ci-dessous sont tirés du livre Costume Close-up
costume close up

L'original est en indienne, mais dans le texte que j'ai mentionné plus haut qui date de 1770 (cf jupons), il y a une sur-représentation des tabliers à carreaux bleus. Ce qui est amusant, c'est que je ne le savais pas quand j'ai choisi mon tissu. Je l'avais dans mon stock, et les carreaux, ça me bottait ! Le tablier se noue dans le dos. Mon casaquin n'a pas de poches, dont j'ai nouer les attaches par dessus les plus (ça se fait quand on n'a pas le choix). La plupart du temps, on passera les liens à travers les poches et on fera le nœud sous le dos du casaquin. Le devant se fixe avec des épingles. J'en ai six, pour le tenir bien en place. La manière dont le tablier dont je m'inspire est abîmé prouve qu'il était aussi teni par 6 épingles toujours aux mêmes endroits. Si vous zoomer sur les photos, on les voit (parce que je n'ai que mes épingles moches à têtes colorées) : au quatre coins en haut, et au milieu des cotés qui descendent en pointe. Le tablier est aussi amidonné à mort, et ça aide pour le fixer droit :)

Et voilà !

* oui, j'utilise le mot "corset", plutôt que "corps", car j'ai découvert en me plongeant dans les inventaires après décès et autres documents de justice que le mot "corps" est pratiquement inusité dans la langue courante, et ce pour presque tout le XVIIIe

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